Mon eco-histoire. Part 1.
Où comment, après un an sans logement, je veux vous parler de mon véritable foyer (et entendre parler du votre)
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Eco : Du grec ancien οἶκος, oîkos (« maison »).
Histoire : Du grec ancien ἱστορία / historía, signifiant « recherche, connaissance, récit »
Après cinq mois de silence sur ce blog, le silence du monde qui m’entoure ce 8 Février 2025 à fait enfin pousser en moi le flot des mots, tel un perce-neige. Dans cet article je vous livre une partie de mon quotidien et de mon passé. Il deviendra finalement une série de trois articles, dont le premier commence par mon enfance. Vous y retrouverez:
À la demande générale : La réouverture des Consultations de Tarot, sous un nouveau format.
Mon eco-histoire d’enfance avec quatre saisons de souvenirs et d’expériences en ou avec la nature.
Une invitation à me partager la votre pour tisser une toile entre nos récits.
L’ouverture du format d’abonnement au Pied Gauche d’Orion, pour les personnes qui souhaitent me soutenir.
Mon Eco-histoire. Part 1.
Cher.es rêveurs.es, il neige à Florac-Trois-Rivières.
Je suis dans ce beau village de 1500 habitants depuis un mois et demi maintenant. Et j’ai enfin un toit. Ça fait un an que je n’ai pas de logement. Un an que je dors chez des amie.s, un an que je n’ai pas d’intimité. Un an que je vis pleinement dans mon corps et dans mon esprit une énorme transformation personnelle. Car quand on a plus de chez-soi, il est très difficile de sentir en sécurité, et donc d’avoir un sens fort de sa propre personne. Tout est remis en question.
Il neige à Florac-Trois-Rivières et je n’ai pas de réseau. Je n’avais pas vu la neige depuis 2012 à Paris et ce matin, en ouvrant le rideau de ma chambre, j’ai cru rêver. J’ai été transportée à mon premier souvenir avec la neige au Pays Basque quand j’étais enfant. Et c’est qu’il y a quelque chose de l’ordre du gel du temps lorsqu’il neige. Soudainement, on ne distingue plus le ciel de la terre, mère eau vient déposer son manteau scintillant sur ses enfants, mettant en pause toute possibilité de vitesse, d’agitation.
Silence, il neige. Silence portables et internet, silence, le ciel vient mettre au lit la terre. Je n’ai pas de cheminée, ni un feu autour duquel m’assoir, mais je sais que c’est exactement aujourd’hui et maintenant qu’il est le temps propice et parfait pour parler de mon histoire. Quand il neige, c’est le temps de raconter des histoires.
Pour être honnête, ça fait plusieurs mois maintenant que j’organise ce blog, que je me projette, que je fais d’innombrables listes et tableaux de contenu sur Notion, que j’essaie de définir exactement ce dont je veux vous parler, comment, quand et à quelle fréquence, mais la vérité est, qu’une fois assise devant la page New Blog Post, mon corps se fige.
Je me retrouve face à toutes les parties de moi qui n’ont pas eu la place de s’exprimer pendant ce temps d’errance. Exacerbées par des années passés sur les réseaux à revendiquer certains points de vue et façons de faire, polarisées par mes propres batailles internes. Aujourd’hui, après avoir passé un an sans un endroit que je peux appeler foyer, en voulant reprendre mon travail là où j’avais tout laissé, je me retrouve soudainement sans voix.
Je ne sais plus vraiment qui je suis sans toutes ces parties de moi qui ont été emportées par le vent et les vagues de l’Atlantique Asturien. Et il semblerait que leur écho et leur souvenir ne me laisse pas tout à fait fleurir. J’ai eu beaucoup de mal à me sentir entière cet automne, et par conséquent, j’ai eu énormément de mal à créer au cours de la dernière saison.
Puis, il y a sept jours, j’ai pu fermer la porte. J’ai pu fermer la porte d’un espace où personne ne peut rentrer, où je n’ai plus d’explications à donner à personne. J’ai enfin, une chambre à moi. Là, mon corps s’est totalement détendu, et j’ai enfin pu dormir comme un bébé. Et presque comme si les esprits du lieu m’accueillaient enfin en voulant me rendre ma voix, deux jours plus tard, le monde dort sous un manteau blanc. Plus de notifications ni vidéos à voir pour me distraire ou m’abrutir : c’est le moment.
C’est le moment de m’assoir et d’écrire. C’est le moment de raconter mon histoire. Mon eco-histoire, comme il est dit en ecopsychologie, car si il y a bien une chose qui me définit, c’est mon lien à la nature, sous toutes ses formes. C’est ce lien là que j’ai passé ma vie à étudier et c’est ce lien là que je veux rétablir pour toute personne qui se sent déconnecté de celui-ci.
En suivant les conseils de Johanna Macy et son Travail qui Relie, je commence par moi, pour pouvoir vous l’apporter en conscience après. En vous racontant les histoires en lien avec la Nature, qui sont des refuges pour ma personne. Ces souvenirs qui sont des lieux de paix et d’interconnexion sacrée. Ces lieux qui nous rendent notre humanité.
J’espère qu’en faisant cela, en donnant une voix à ce foyer là, à ce feu là, la muselière qui contraint mon coeur relâchera un peu ses rênes, et je pourrais enfin laisser couler les eaux de mon écriture. Pour créer, concrétiser et pouvoir vous partager cet espace dont je rêve depuis un an et que j’ai décidé d’appeler Le Pied Gauche d’Orion. Espace dédié à l’ecopsychologie et l’animisme, mais surtout à mes propres définitions de ce travail là, sous mes termes et conditions. Un espace ou sacré et scientifique ne sont plus duels, et où le Rêve, l’Eco-psyché, reprend enfin sa juste place. Un espace d’Ecothérapie Archétypale. Un espace de Re-ensauvagement Animiste.
En Ecothérapie, la première chose que l’on demande à un.e consultant.e est de raconter ce que l’on nomme son eco-histoire. C’est à dire sa vie, mais sous le prisme de sa relation avec la nature. Spécifiquement, les souvenirs et expériences qui ont forgé son sens de l’identité en rapport avec l’environnement non-humain. Mon expérience étend ces liens relationnels au minéral, à l’aqueux, à l’aérien et à l’incandescent, mais aussi et surtout à l’intangible et à l’invisible. Diurne et Nocturne.
Mon eco-histoire est celle d’une Animiste. Animiste depuis aussi loin que je m’en souvienne.
Printemps - Cueillette - Les Violettes, La cuisine, La lignée
Le premier souvenir que j’ai en pleine nature est avec ma mère Susana. Elle avait une herboristerie qui avait appartenu à ma grand-mère Lola à l’époque, dans notre quartier. Je ne sais pas quel âge j’avais. Probablement autour de 4/5 ans si je peux m’en souvenir. On est allées cueillir des violettes, pour faire du sirop. Je ne sais pas si c’était pour en vendre ou pour en avoir à la maison, mais j’entends la voix de Susana : “vamos a recoger violetas para hacer un jarabe”. On était dans la cuisine. Puis je vois ses jambes marcher dans la pelouse, il fait beau. Elle porte des collants noirs et une jupe courte noire à boutons. On marche sur une colline et je lui demande toutes les deux minutes, dès que je tombe sur une fleur, si c’est une violette. Une vague image de son sourire et de ses “non”. Plus tard, à la maison, le goût et l’odeur du sirop m’envahit et me réconforte, ils me rappellent ma grand-mère Gloria, qui avait toujours des bombons à la violette à la maison. C’est le début du printemps.
Été - La cabane de fées - La pierre, la mousse, le sable, l'eau douce, les arbres
Je suis nue, sur la plage du lac. Au vu du souvenir que j’ai de mon propre corps à ce moment là, je dois avoir entre 7 et 8 ans. Je joue seule. Le ciel est bleu et l’eau est verte. Grand soleil. Entre les roches, une source. Un ruisseau minuscule se fraie un chemin parmi les cailloux couverts de mousse verte. J’adore la toucher, m’allonger dessus, la sentir. Je me dis que c’est un lit parfait. Je voudrais avoir un lit en mousse. Petit à petit, les roches se séparent et deviennent petites pierres, puis du sable. Un sable blanc dont je n’ai pas le souvenir d’avoir vu si clair et si scintillant de toute ma vie. Il me fascine, son contact chaud contre mes pieds me donne l’impression de marcher sur un sol de diamants. Je cours dans l’eau me baigner et nager, puis je reviens tout aussi vite pour me rouler sur ce sable et que mon corps brille aussi. Une joie intense me remplit, dont je n’ai pas de souvenir égal qu’avec l’ingestion de psychédéliques en étant adulte. Je ressens la pleine puissance de la beauté et la merveille des éléments naturels.
J’ai l’impression de marcher sur des étoiles, d’avoir le corps rempli d’étoiles, d’être les étoiles.
Un peu plus loin sur le rivage, commence la foret de hêtres. Après cette expérience avec le ruisseau et le sable magiques, qui je suis certaine, n’est pas passée inaperçue des esprits du lieu, je marche et je tombe sur quatre arbres disposés presque en forme carrée. Ils ont des branches coupées aux endroits parfaits pour glisser des bâtons entre les troncs et construire ainsi des murs. C’est ma cabane ! J’ai une cabane vue sur lac, que pour moi. Je peux dormir dedans, lire dedans, jouer à la cuisine, et surtout y revenir, si besoin. La joie continue, je me construis une maison, j’arrive même à me construire un semblant de lit avec des branches plus épaisses entre les troncs et m’allonger dessus. Branches couvertes de mousse…
Automne - La voix des ancêtres - La sagesse, les contes, la montagne, le ciel, l’histoire
Tous les ans, en début d’année scolaire, à l’ikastola, nous faisions un voyage aux montagnes de la vallée environnante. Dans le parc naturel d’Urkiola, maison de la déesse mère Mari. Ces voyages étaient merveilleux pour moi, parce qu’on nous y parlait de mon sujet déjà préféré à l’époque : notre mythologie, les noms, histoires et usages des plantes, champignons et arbres.
J’ai un souvenir vif du moniteur qui nous montre la montagne d’Amboto depuis le mirador en face de celle-ci. Il nous explique que c’est la demeure de Mari, qu’elle vit dans la grotte de cette montagne. Et il nous dit : regardez bien la montagne, que voyez vous ? Et dix petits gamins se mettent à hurler “elle est là, elle est là!!” “elle est allongée sur la montagne!!” ; Les crêtes de la montagne forment l’illusion optique d’une femme aux cheveux longs allongée. Illusion ou vision, nous étions toustes émerveillé.es.
Grâce à ces sorties, j’ai pu comprendre que nous étions en terre sacrée, que chaque être avait une fonction et une histoire, que chaque lieu était gardé par un esprit plus ancien que le temps même, et j’ai pu créer et conserver le lien que j’ai au végétal aujourd’hui.
Basajaun garde la forêt, c’est sa demeure, et nous devons en prendre soin. Les Lamiak gardent les rivières, c’est leur demeure, et nous devons en prendre soin. Akerbeltz garde les histoires des plantes et les voix des animaux, c’est ses protégés, et nous devons en prendre soin. Mari reine des fées, garde les ciels, le territoire et les humains, c’est la régente, et nous devons honorer son travail en étant des bonnes personnes et en respectant l’équilibre de la nature.
Les esprits étaient les gardiens et donc les propriétaires du territoire. La terre ne nous appartenait pas, nous appartenions à elle. Amalur. Nous étions seulement de passage, et donc, on nous prêtait l’espace dont ils étaient les garants de l’équilibre, et nous devions l’honorer, en se souvenant et transmettant leur histoire, pour qu’ielles ne meurent pas dans l’oubli.
J’ai eu cette chance. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement éducatif qui ne brise pas la notion de sacré au bénéfice du scientifique, car il ne les considèrent pas incompatibles. Un environnement éducatif qui n’a pas honte de son folklore et de son histoire religieuse. Tout en apprenant le nom des arbres, la photosynthèse, comment fonctionne notre atmosphère ou comment m’orienter dans une forêt, j’ai aussi appris l’histoire de mon peuple, et pourquoi nous tenons autant à notre territoire. Et pourquoi nous sommes autant battu pour lui.
J’ai appris notre langue, et la langue de ceux qui n’ont pas de voix, à travers les histoires contées en forêt. Cette langue m’a aussi donné une voix à moi, une voix pour tout ce qui m’arrivait pendant la nuit, en rêves, et que je n’arrivais pas à expliquer.
Hiver - La neige - Le froid, la glace, le jeu, la liberté
Nous vivions encore à la rue Heraclio Fournier, en face de l’usine de cartes Fournier, maison d’édition de mon cher Tarot. On était pas encore parties de cet appartement aux fenêtres cassées, alors je devais avoir 6 ans. C’est le matin, on se dépêche pour aller prendre le bus pour l’école. En ouvrant la porte, surprise. Tout est totalement enneigé. Avant que ma mère ne puisse dire un mot, je cours pour aller me jeter dans ce qui me semble être une montagne de neige et faire la figure de l’ange. Je l’entends s’étonner puis abandonner l’idée de m’en empêcher. On marche vers l’arrêt de bus, mais c’est presque impossible, le sol est totalement glacé et on arrête pas de glisser, tomber sur les fesses et RIRE. Rire tellement fort toutes les deux qu’on peut à peines respirer. Pleurer de rire. On a tellement ri, qu’on a loupé le bus, et ma mère a abandonnée l’idée de m’emmener à l’école. Je me souviens du réconfort ressenti à pouvoir passer une journée au chaud de plus à la maison en contemplant la neige par la fenêtre avec nos deux félines …
C’est exactement ce souvenir qui m’est venu en tête ce matin, et qui a donné lieu à cet article, que j’ai écrit en espérant un effet thérapeutique personnel, et inspirant pour vous. Je le considère le premier d’une longue série, je l’espère, d’échanges avec vous sur notre lien à la nature et comment celui-ci peut nous guérir.
S’il vous plaît, n’hésitez pas à me raconter en commentaires des extraits votre eco-histoire, j’adorerais vous lire ! Ou alors si vous êtes sur substack n’hésitez pas à écrire un article dessus, j’aimerais suivre ça !
Je vous embrasse,
K.
Prochainement dans Le Pied Gauche d’Orion :
Sylvonautique de Février. Avec (en guest star) le folklore du Perce-Neige.
La nature est-elle là pour nous guérir ? Questionnements de fond sur l’ecopsychologie.
Tout tombe toujours à pic décidément… quel hasard 🙃
Merci pour cette lecture vibrante et touchante.
Quelques wagons d’eco-souvenirs me sont venus en te lisant. Le premier c’est lorsque, toute petite, je faisais des « potions » avec tout ce que je trouvais d’inspirant dans la nature ! J’adorais observer la modification des couleurs, mais tout finissait marron très foncé évidemment 😂
Le plus fort c’est avec les grands parents dans leur petite rue ou je cueillais plein de petits bouquets de fleurs sauvages qu’on déposait à une petit chapelle. Surtout ce jour où une buse a « chopé mon pompon » sur mon bonnet 😱
Le plus émouvant, c’est à la mer avec mes autres grands parents et cette sensation inoubliable des premiers bains sous leurs yeux bienveillants.
Merci d’avoir contribué à raviver tout ça 🥰
C'est beau....
J'ai envie que le temps reste figé dans le passé ce matin, après la lecture.
La neige fait partie de ma famille, du côté de la mère qui tient une partie de ses racines dans les Pyrénées ariégeoises et hautes Pyrénées françaises.
Il y a de la puissance à regarder ma mère solide et confiante face a la neige qui tombe et qui ne l'effraie pas alors que j'observe, petite, bien des hommes perdants leur stabilité face à cet élément...
Elle, elle m'apprenait ce qu'il y avait à savoir sur Elle : les différentes neiges, leur texture, comment se déplacer dessus, l'écouter, la comprendre.
Je me souviens d'analyses scientifiques que je faisais à regarder de très près la poudreuse qui était tombée dans la nuit, à utiliser tous mon corps, tous mes sens pour la "sentir".
Encore aujourd'hui, je ne comprends jamais aussi bien que quand je le découvre avec mon corps. C'est ce que mon enfance m'a enseignée.